Local Luv

SKUNK, Février ’10

Chère Scène Locale,

Il s’en est passé des concerts survoltés et des fêtes arrosées et même inondées, des moments de grâce et de durs lendemains, des envolées lyriques et des distorsions abrasives depuis nos premiers pas ensemble. Tu te rappelles nos premiers ébats?.. Naïvement mais solennellement entêtés à crier haut et fort à qui refusait de l’entendre que nous avions entre les mains quelque chose de grand, quelque chose d’unique, quelque chose de beau. Dans la foudre et la lumière, nous allions convaincre même le plus entêté des bornés qu’il y avait dans nos têtes, nos ventres, nos cœurs, une musique qui devait être entendue. Dans toute sa fougue, sa diversité, sa ténacité face aux grands manitous des tribunes qui faisaient la sourde oreille. Ceux-là qui encore aujourd’hui peinent à rejoindre le navire – de peur d’être arraché à leur zone de confort surfaite et passablement indigeste.

WD-40, 2008

Dès les premières rencontres, avant l’aube du nouveau millénaire, on se courtisait dans un Café Chaos au bas de la côte, un Jailhouse encrassé, un Purple Haze aujourd’hui couleur Saphir ou encore un Backstreet tombé dans l’oubli… Au moment où  Caféine et ses Bodums t’imploraient de « ne pas partir avec ce beau brumel », que WD-40 t’enlevait littéralement tes « petites culottes » et que Overbass dansait la « Cucaracha »… Et nous savions qu’un projet était bel et bien en branle. Dans les fonds de salles de spectacles emboucanées (parce qu’on fumait beaucoup et partout) où le plafond suait sur nos corps devant les couinements des Secrétaires Volantes et Generatorz ou le muscle des Démolition, Parias et Bons à Rien.

Me Mom & Morgentaler, 2007

Déjà là, certains guerriers réalisaient des exploits sans le moindre support des structures alors en place. Grim Skunk se demandait « Pourquoi ne pas fumer? C’est ben légal de boire » sur fond de claviers et guitares progressivement punk, devant des salles de plus en plus grandes et bondées à ras bord alors que Me Mom & Morgentaler remettait Shiva et le ska au goût du jour et arrêtait la pluie au Festival d’Été de Québec tout en revitalisant au passage une scène fermée sur elle-même depuis belle lurette. We are revolting.

Une époque où les skankers sortaient leurs plus beaux atouts pour se trémousser sur les consonances festives des Planet Smashers, Kingpins, Gangster Politics (qui comptait dans ses rangs quelques membres des Stills de même qu’un certain Patrick Watson) et une flopé d’autres formations qui portaient à bout de bras le seau d’une scène ska qui connut son apogée local.

C’était du coup l’époque où on frétillait de plaisir à chaque été au Polliwog devant les Banlieue Rouge, Guano, Anonymus ou encore Necrotic Mutation qui s’époumonaient dans les parcs. Tu te souviens?..

Et dans un coin plus sombre, B.A.R.F. vociférait « Wo Wo Tabarnak » en mode accéléré dans l’urgence de notre amour qui faisait mal. Plus férocement confidentiels encore et sur les dents, les Seized, Wisigoth et autres Disagree nous crachaient leur hargne en plein visage et versaient une larme sur le triste constat qu’ils tiraient tout droit de la rue.

Dans la foulée, une ligne de basse qui résonne encore alors que Groovy Aardvark somme l’ultime question – tout simplement : « Y’a tu kelkun qui a un problème?! »

C’était ça nos débuts ensemble.

Ça fourmillait de partout et cherchait à se rallier, on criait beaucoup mais on avait surtout besoin de support, de structure. Il y avait eu Cargo ou encore MPL mais trop peu pour réellement unifier les troupes. Vint alors le Forum des Musiques Amplifiées, une initiative de quelques têtes fortes de l’émergence – le terme commençait d’ailleurs à prendre un sérieux coffre – qui cherchaient à créer un point de rencontre pour nous tous, tentacules d’un même vaisseau.

Pour toi, ma belle scène locale.

Tout ce boucan a donné naissance à la sacro-sainte SOPREF (Société pour la promotion de la relève musicale de l’espace francophone) qui tiendra le phare pour un peu plus de dix années. Elle nous éclairait toi et moi, informait nos choix, distribuait notre pain et notre beurre avec son fanzine Kerozen et son réseau de distribution Local. Elle en a fait beaucoup, s’est mutée en diverses incarnations au fil du temps, s’est adaptée à nos bouleversements pour s’éteindre il n’y a que quelques mois de ça. Non sans amertume mais le cœur gonflé de souvenirs.

Nous avons encore un pincement en passant au coin des rues Ontario et Saint-Hubert à Montréal où trône toujours l’enseigne des anciens locaux…

Wisigoth @ L’X, 1999

Parallèlement à ce chaos qui s’organisait, notre idylle millénariste a pris son envol en mode féroce. En mal de salles où se déployer, une poignée de jeunes dits marginaux – le mot nous roule en bouche – mettaient sur pied la coopérative de l’X où nous allions voir nos groupes préférés de l’époque. Je me rappelle encore les déboires des Saintes Catherines et des Ordures Ioniques, les grognements de Saturation, Up Against, Harsh, X-plicit Noise ou Deadly Pale et les percussions tribales de Bodybag qui galvanisaient nos élans. La salle se muterait éventuellement en Katacombes, un peu plus à l’ouest.

Du coup, la communauté métal prenait du galon alors qu’Anonymus poursuivait sa conquête, que les Ghoulunatics honorait Elvis et qu’Atheretic faisait des ravages sur scène. La palme revient tout de même à Cryptopsy dont les prouesses techniques impressionnaient jusqu’à l’étranger. C’était aussi les premiers balbutiements de Despised Icon qui connaîtrait une impressionnante ascension…

C’était l’amour qui gronde, celui qui perfore le ventre, qui fend le cœur.

On se vautrait aussi dans le rock. Le brut, le vra’. On entendait les premières mesures des Tricky Woo et Bionic. Et très vite, de sa réplique francophone sous l’emblème du Nombre qui ne réinventait pas la roue mais la huilait grassement. À notre grand bonheur.

La scène garage de son côté imposait de plus en plus sa présence avec les Sexareenos, King Khan & BBQ ou encore les Breastfeeders qui honoraient leurs racines avec l’aplomb d’un jeune premier et l’intelligence du vieux routard. L’Escogriffe (devenu simplement L’Esco) en sera l’un des principaux points d’ancrage.

Godspeed You! Black Emperor

L’air était bon, c’était les débuts des labels Dare To Care et son pendant francophone Grosse Boîte un peu après de même que C4 qui suivaient les traces d’Indica ou encore Constellation qui nous a donné l’un de nos premiers gros coups de la décennie : Godspeed You! Black Emperor. Ces musiciens qui faisaient de la mathématique avec l’émotion : la commotion, ça nous a scié les jambes.

Du côté anglophone – et de plus en plus bruyant – The Unicorns lançait un album mémorable qui allait être l’unique lègue du groupe ainsi que The Stills qui affirmait que la logique allait nous briser le cœur. Je me souviens de « still in love song », un peu comme une hymne à toi.

Et les salles ont commencé à se multiplier : Casa Del Popolo, Sala Rossa, Il Motore et autres Zoobizarre ont permis à nombre de formations de se faire les dents.

Et tu te souviens en 2004, alors qu’on savait que les choses allaient bon train : jamais aurions-nous pu espérer une aussi grosse secousse. Soudainement, de local à international, il n’y avait qu’un pas. Et deux mots : Arcade Fire. L’ascension montréalaise du groupe ayant fait son chemin assez rapidement à la fin de 2003, voilà que David Bowie les invite sur scène, les médias internationaux font un plat, le TIMES leur consacre la couverture, bref : la totale. Et tu te souviens de cette rentrée montréalaise au Théâtre Corona? Il y avait Wolf Parade qui lançait le bal – avant le déluge rencontré par la suite… Tu te souviens de l’état de grâce absolu ressenti devant la bande de Win Butler? De l’éblouissement devant cet équilibre parfait entre sensible et virtuosité… Et l’impression d’assister à un moment privilégié. De toucher au sublime. Tu rayonnais dans toute ta splendeur ce soir-là ma belle.

Tout ce vacarme a connu un écho sans précédent pour toi. Tu t’es retrouvée dans la mire de plusieurs observateurs internationaux de renom, tu t’es vue gratifiée de mentions sinon carrément de dossiers dans plusieurs publications outre frontières (Spin, Rolling Stone, Les Inrocks, Pitchfork). On t’appelait la nouvelle Seattle. Le feu aux poudres, je te dis…

Bon, les choses se sont calmées depuis, comme toute bonne hype, mais les gains acquis restent à ce jour palpable : quand tu grondes, on t’écoutes attentivement.

Tu t’es mise à la page web, comme tes consoeurs de par le monde. Une nouvelle ouverture – sans filtre – se pointait à l’horizon. On a voyagé partout pour présenter le fruit de nos talents. Malajube « la bouche pleine de confettis », We Are Wolves et leur « total magique », l’exhubérance déchaînée de Duchess Says, les Cowboys Fringants qui réclamaient un « break syndical » et, tout récemment, Béatrice Martin et son Cœur de Pirate qui prenaient d’assaut la francophonie entière.

La Patère Rose @ Le National, 2009

Signe des temps aussi, tu as voulu ratisser plus large. Aux sonorités extrêmes des premiers jours, tu as ajouté de nouvelles cordes à ton arc : la pop, le folk, l’électronique et d’autres genres plus ou moins discrets dans notre réseau ont ainsi pu réclamer leur part de gâteau. Pêle-mêle : Dany Placard, 3 gars sul’ sofa, Dobacaracol, Radio Radio, Misteur Valaire, Numéro#, Avec Pas d’Casque, La Patère Rose, Le Roi Poisson, Beast, Bernard Adamus ou encore Marie-Pierre Arthur ont tous bénéficié d’une attention de la scène locale qui aurait été plus ou moins imaginable à nos débuts.

Et tu continues toujours à me séduire après tout ce temps. Après toutes ces épreuves traversées à tes côtés, à t’observer, à t’encourager et te défendre comme une louve et ses rejetons. Merci pour tous les bons moments ma douce. Et poursuis ta lancée, on a un millénaire à faire bouger.

S.

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