Bad Religion – Nouveaux mœurs : même révolte
Par : Stéfane Campbell
BANG BANG, juillet 2007
Qu’est-ce qui pousse un homme de quarante-trois ans, avec quelques vingt-sept années et des poussières de musique dans le corps à repartir en tournée avec un groupe qu’il a vu naître pratiquement trois décennies auparavant? « Exactement la même chose que lorsque j’avais 15 ans. Toujours cette même rage, cette amertume : tout cela ne semble pas foutu de changer. Apparemment, je devrais mettre de côté ce ressentiment envers le système et ses travers et me réfugier dans une sorte de statu quo. Mais je haïs toujours autant le système, envers et contre tous […], je me réveille encore chaque matin en me demandant « Qu’est-ce que je pourrais bousiller aujourd’hui? », et c’est exactement l’esprit qui caractérise le nouvel album! » – nous répond sur un ton quasi bon-enfant, Jay Bentley, bassiste de la première heure du légendaire groupe punk Bad Religion.
Après autant d’années depuis ses premiers élans et si peu d’essoufflement, le groupe en question nous refait le coup avec New Maps of Hell (Epitaph Records), quatorzième album en carrière, produit par le très-en-demande Joe Barresi (Kyuss, The Melvins, Tool,…), et qui se veut un retour aux sources pour ceux qui ont largement contribué à établir les standards de ce qu’est aujourd’hui le mouvement punk new-school de l’école californienne comme on la connaît. En effet, on revisite ici le son, les textures mais aussi la vitesse d’exécution de jadis, faisant écho au hardcore et au punk qui influença le band à l’époque de How Could Hell be any Worse?(1980) et Suffer(1984) – The Germs, Black Flag, The Adolescents, etc… « Nous avions une intention de jouer aussi vite que possible mais ce n’était qu’un point de départ. Nous sommes entrés en studio et le processus s’est imposé dès les premières répétitions, nous nous connaissons tout de même très bien après autant d’années, […] le plaisir de se retrouver là a fait en sorte de renouer avec ce sentiment de rage, le pouls de la création au sein du groupe ».
D’autant plus que la scène est tellement différente de ce qu’elle était. « Le mélange des styles maintenant est assez incroyable, la fragmentation : emo, screamo, metal, grindcore, et combien d’autres sous-genres se côtoient ou se boudent. C’est très bien toutes ces branches mais on peut parfois avoir l’impression de perdre de vue la racine – the core of it all. Je ne veux vraiment pas tomber dans la nostalgie mais il est évident qu’avant, il y avait une idée centralisatrice derrière la musique. Une révolte habitait les kids qui faisaient la musique. La ténacité est probablement notre point le plus fort. Nous avons su garder la tête froide malgré l’ampleur qu’ont prise le groupe, l’étiquette [Epitaph, qui appartient au guitariste du groupe, Brett Gurewitz] ou même les autres groupes que nous avons côtoyés. Il y a encore un sentiment de camaraderie quand nous partons en tournée. Entre les musiciens et avec le public ».
Et que penser du désengagement de plusieurs groupes aujourd’hui? Si le sentiment de révolte garde le groupe sur l’air d’aller après toutes ces années : qu’en reste-t-il aujourd’hui dans les nouvelles générations « fragmentées » comme on les nomme plus haut? « Quand nous avons débuté, nous ne savions pas trop ce que nous faisions, nous étions de jeunes enragés qui voulions avant tout crier notre désaccord. Tout restait à faire en termes de mouvement, de genre. Il fallait garder un noyau fort, se rappeler pourquoi nous étions là, nourrir la rage ». Une école de pensée prenait vie, au fil des groupes qui la bâtissaient. Mais il ne faut pas devenir dogmatique, l’esprit du punk repose avant tout sur faire exactement ce que l’on veut faire, « les belles années se déroulent probablement maintenant, nous pouvons donc en profiter, […] nous savons pourquoi nous sommes ici, le groupe est très solide et, par-dessus tout, nous aimons ce que nous faisons ».
Les textes du groupe, sur la nouvelle galette, demeurent d’ailleurs toujours aussi engagés, ce qui restitue l’étiquette de «groupe politisé » qu’on leur colle depuis si longtemps. « Je réponds constamment à cela que nous ne sommes pas un groupe politique mais bien sociopolitique, […] et ce bien que l’avant dernier album [The Empire Strikes First, Epitaph Rec. 2004] était de loin le plus chargé en contenu politisé, […] la problématique de base dans les compositions touche avant tout à l’homme en société en son sens large ». Sachant du coup que le chanteur et parolier – Greg Graffin, Dr en Paléontologie de l’évolution – construit des textes à la fois pointus et « coups de poing » sur la condition humaine, inspirés de ses recherches académiques. L’homme sait de quoi il parle. Mais comment se déroule le processus d’écriture au sein du groupe? « Tous les textes naissent des discussions que nous avons, […] nous voulons cerner les enjeux que nous abordons, je ne voudrais pas rester sans mot en entrevue à essayer d’expliquer telle idée ou tel concept tirés de nos chansons ». Des discussions donc, où l’on dissèque le propos pour en arriver à un consensus. « Nous devons être en accord, trouver l’angle, la drive , la sentir pour bien livrer l’esprit ».
Bien sûr, d’être en famille chez Epitaph, après une escale de trois albums (et une réédition) sur un Major, Atlantic Records, redonne aussi le feu aux musiciens. « Pour Atlantic, nous étions un produit, le next big thing après les retombées causées par les succès mondiaux de Offspring et Green Day ». Une promesse qui n’a jamais réellement connue de suite, « depuis notre retour [en 2001] et bien qu’une étiquette en demeure toujours une, nous nous sentons tout de même privilégiés d’être sur un label qui a vu le jour, au tout début, pour et autour de Bad Religion, […] nous sommes définitivement à la maison ici ». Et l’envie de remonter sur les planches les rattrapent tout autant : « Le Warped est également une grosse famille, […] bien sûr il y a tous ces jeunes groupes et c’est merveilleux pour cela, la famille grossit d’années en années ». Et que pouvons-nous espérer voir? « Les sets sont d’une durée de 30 minutes pour tous [démocratie warpienne oblige] alors nous faisons 3-4 chansons du nouvel album, 6 des deux précédents et reste 2 pièces du catalogue antérieur ». Tanné des classiques? « Jamais, ils font partie des fondations! ». (Stéfane Campbell)